11 décembre 2008, par Odile Quirot
Alors qu'un rapport sénatorial met en question l'efficacité de l'action culturelle française à l'étranger, on annonce des restrictions budgétaires pour 2009: la coupe est pleine
par Dominique Wolton
Rien de va plus au Quai-d'Orsay, dans l'organisation de son réseau culturel à l'étranger, incomparable maillage de centres culturels, d'Alliances françaises, d'instituts français et d'établissements scolaires à travers le monde dont l'action sur le terrain est peu connue tant elle est peu mise en valeur. Or voici qu'une réforme préparée à la va-vite se profile tandis que l'utilité des centres et des instituts était récemment contestée par un récent rapport sénatorial (du senateur UMP de la Haute-Loire Adrien Gouteyron). En 2009, les budgets seraient réduits de 13% à 35%, alors que l'Allemagne annonce une augmentation de l'ordre de 7,5% de son budget pour son action culturelle à l'étranger.
Au lieu de réfléchir à une politique européenne, on ferme des centres au coup par coup en Europe, centres qui, avant la chute du mur de Berlin, furent de hauts lieux de repérage de jeunes talents, d'échange et de formation des élites - artistes, archéologues ou scientifiques. Quant au réseau des 269 lycées français à l étranger, son financement est ébranlé par la coûteuse promesse du président de la République d'instaurer la gratuité d'inscription pour les étudiants français. Et sans augmentation de subventions à la clé. Décision qui fait craindre une désaffection des étudiants étrangers. Autant de décisions qui révoltent Dominique Wolton, chercheur au CNRS et auteur de «Demain la francophonie».
«A l'heure de la mondialisation, la France doit mener une grande politique offensive. Non plus en termes de puissance, mais d'influence, et cette dernière réside dans sa capacité à agir sur la culture, l'art, la science et la communication. Or c'est au moment où la mondialisation nous rend indirectement hommage et nous permet d avoir un retour sur investissement - c'est-à-dire de valoriser ce que notre réseau culturel à l'étranger a réalisé depuis un siècle - qu'on réduit fortement la voilure! Alors qu'il ne dispose déjà que d'un tout petit budget, on diminue encore les crédits de ce réseau, on ferme ses centres.
Diminuer les crédits du réseau culturel du Quai-d'Orsay, c'est amputer la France de sa capacité d'action mondiale. Les Chinois, les Russes sont en train d'étudier notre modèle pour l'adapter, et c'est à ce moment-là qu'on l'estime dépassé? Arrêtons ce masochisme!
Des technocrates et des politiques se demandent si on a besoin d'amener Balzac à Berlin, en Haïti, à Hanoi ou à Ouagadougou? Eh bien oui, non seulement Balzac, mais aussi du cinéma, de la science, des techniques, pour essayer d apprivoiser cette mondialisation sans âme.
Alors que faut-il faire? D'abord valoriser toutes ces femmes et tous ces hommes - plus de 2.000 personnes - qui assurent la présence française à l'étranger et qui possèdent une expérience extraordinaire, totalement négligée. Il faudrait sortir de cette règle de la fonction publique qui veut que personne n'ait le droit de parler en dehors du ministre. Que le ministre ait le monopole de la parole politique, c'est normal. Mais, pour le reste, que cent fleurs s'épanouissent!
Il faut ne rien lâcher de la culture traditionnelle qui a fait le rayonnement de la France: la langue, les sciences sociales, la littérature, les arts, les spectacles vivants. Mais il doit étendre son périmètre aux sciences, à la technique, prendre pied dans les industries culturelles et de la communication, être créateur de cette fameuse diversité culturelle dont nous avons et aurons tant besoin. Il va de soi que les universités et le CNRS devraient être plus impliqués. Il faudra trouver de l'argent et s'ouvrir aux partenariats privés, au mécénat. On n'y perdra pas notre âme!
Autre masochisme: notre pays est le cœur historique de la francophonie, enjeu essentiel car celle-ci est le plus grand laboratoire de la diversité culturelle mondiale, avec l'Europe. Or la France finance près de 80% de la francophonie en restant entravée par une culpabilité coloniale qui ne correspond plus à rien. Nous devons mieux assumer notre rôle et passer à ce que j'appelle la «franco-sphère». Le français doit être non seulement une langue culturelle et politique, mais aussi la langue pour les affaires, les sciences ou les industries de la connaissance. Bref, une langue de la modernité. Pourquoi ne pas crée rait-on pas une «académie de la francophonie» afin de valoriser cette langue dans toute sa diversité?
Dernier point: les multinationales françaises ont besoin de marcher sur deux pieds pour mieux réussir. La puissance économique d'une part, et ce réseau diplomatique, politique, culturel et scientifique, qui est la traduction du souci de dialogue et de la dimension universaliste de la France, d'autre part.»
Propos recueillis par Odile Quirot
A lire : La diplomatie illisible de la France
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