1.2.09

Deux tribunes dans la presse sur l'avenir de la diplomatie culturelle de la France


Il faut réinventer la coopération culturelle (27 janvier 2009)
Tribune de Bernard Kouchner dans Libération

N’en déplaise aux grincheux de profession et aux "diplomates" anonymes, l’action culturelle reste l’une des priorités du ministère des Affaires étrangères.

Certes, notre budget n’a pas l’ampleur de nos appétits. Comme les autres bras de l’Etat, le Quai d’Orsay participe à la révision des politiques publiques. C’est donc le moment d’apprécier au mieux nos priorités, de nous interroger sur la pertinence et l’efficacité de certaines routines et c’est surtout le moment d’inventer. Comment nier que notre capacité de convaincre et d’influencer le monde passe aussi par le rayonnement de nos créateurs, de nos écrivains, de nos architectes, de nos artistes ? Comment ignorer que notre enseignement à l’étranger, exceptionnel par sa qualité et son ampleur, demeure un enjeu stratégique pour la France ? Plus que d’autres, notre pays pèse sur la scène internationale et dans le cœur des hommes par cette présence immatérielle qu’on appelle la culture. Mais le monde a changé, et nos priorités sont à la traîne, avec pourtant un budget global du ministère en augmentation.

Comment satisfaire toutes les légitimes exigences, de la santé publique extérieure au développement des pays pauvres auxquels nous consacrons plus de deux milliards d’euros ? Tous en veulent plus. Et nous aussi. Des choix de raison s’imposent. Il n’est plus indispensable d’entretenir à grands frais des dizaines de centres culturels en Europe alors qu’en Asie, au Moyen-Orient nous ne sommes pas assez présents. Qui peut croire que le maintien de notre présence culturelle dans un pays frontalier, peuplé de nombreux francophones, serait plus vital que l’ouverture d’un centre culturel en Chine ou au Kurdistan, où tout est à faire, et que le soutien à nos centres culturels de Bagdad et de Gaza malgré les risques et la guerre ? Il n’est plus question de dépenser sans compter pour des résultats parfois décevants. Oui, nous avons fait des choix. Nous les assumons, au risque de déplaire à ceux qui raisonnent en termes de subventions renouvelées, année après année, par la seule force du confort et de l’habitude.

En 2009, 303 millions d’euros - hors salaires de nos expatriés - seront consacrés à la coopération culturelle et 500 millions à l’éducation à l’étranger ; un budget qui, loin de refléter le renoncement prétendu par certains, sera renforcé par des financements innovants et des formes de coopération originales avec le secteur privé. Certains pays européens nous en montrent la voie. Le succès de l’échange récent entre galeries d’art de Paris et de Berlin, dont la majeure partie du financement a été trouvée par notre ambassade, doit être renouvelé. A quoi ce budget sera-t-il utilisé ? Priorité à l’enseignement français à travers les 253 lycées, dont la gratuité sera assurée par d’autres modalités, et les mille Alliance française réparties dans le monde/ Le mont des bourses pour les étudiants étrangers sera maintenu. Autre priorité, les échanges culturels pour lesquels le Quai d’Orsay allouera cette année à CultureFrance les mêmes moyens que l’année précédente, soit un peu plus de 20 millions d’euros, à charge de les utiliser de manière plus efficace et innovante. Autre effort majeur, les Saisons culturelles dont le retentissement renforce l’image d’une France ouverte aux autres. Le succès de la Saison culturelle européenne en est le plus récent témoignage, tout comme les 400 projets culturels qui marqueront la saison de la France au Brésil.

Notre réseau culturel demeure une grande chance pour la France. Mais il faut l’adapter aux réalités budgétaires de notre pays et aux évolutions géopolitiques. La réforme du ministère des Affaires étrangères que nous avons engagée lui en donnera les moyens grâce à la Direction générale des Politiques culturelles qui sera créée prochainement et qui connectera notre réseau aux grands courants qui parcourent aujourd’hui les peuples et renouvellent les idées.

En ces temps difficiles, la culture est vitale. C’est par elle aussi que se joue notre capacité à participer, à influencer la mondialisation et à lui résister. Nos valeurs ne seront acceptées comme universelles qu’au prix de moins de certitudes, de plus d’efforts, d’innovation et de choix.

La diplomatie de la France est aussi culturelle - Tribune d’Olivier Poivre d’Arvor, écrivain et directeur de CulturesFrance, dans le Figaro (27 janvier 2009)

La France, décidément, est masochiste. Un jour, reprenant un dossier à charge anti-français de Time Magazine nous expliquant que la culture française est morte, nos compatriotes se sont mis à douter d’eux-mêmes. Aujourd’hui, il est de bon ton, dans les salons et autres cafés du commerce, de dire que le Quai d’Orsay ne porterait plus assez son ambition de diplomatie culturelle et de craindre que les crédits de l’action culturelle extérieure soient en baisse. Paradoxale analyse ! C’est justement aujourd’hui que se manifeste de manière très pragmatique et déterminée une véritable volonté politique, celle de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, de placer l’action culturelle extérieure au cœur de la diplomatie que les Français s’inquiètent de savoir si leur pays a encore les moyens de parler au monde, ou du moins d’être entendu par celui-ci.

D’une certaine manière, l’inquiétude de nos compatriotes me rassure. Elle manifeste enfin une forme d’intérêt pour une « cause majeure ». Depuis près de vingt ans, tant en poste à l’étranger qu’à la tête de l’agence qui est en charge des relations culturelles du Quai d’Orsay, Culturesfrance, je me désespérais que nos « affaires » intéressent aussi peu journalistes et hommes politiques. Notre langue, notre culture, notre capacité de dialogue avec les cultures des autres, notre rayonnement à l’étranger, une tradition pourtant ancienne, datant des Lumières, un terrain sur lequel notre pays, aux quatre coins du monde, est attendu, espéré, désiré : voilà bien des sujets pourtant mobilisateurs qui ne faisaient pas recette, faute probablement d’enjeux électoraux !

Quelque chose est en train de changer en France, dans l’appareil d’Etat, et dans la conscience des Français. Je suis reconnaissant à Bernard Kouchner, connu et apprécié pour sa capacité à se mobiliser pour des causes d’urgence, d’avoir intuitivement placé cette dimension culturelle au titre des priorités - des urgences !- de notre agenda en ce début d’année 2009. Car nous ne sommes plus les seuls, dans le monde, à penser qu’il s’agit là d’une manière moderne et attractive de faire de la diplomatie. Les Chinois ouvrent des centres culturels, les Confucius Center, dans le monde entier. Nos grands voisins européens, Allemands, Britanniques, Espagnols, investissent de plus en plus dans ce champ. Un signe, venu de Washington, ne trompe pas : l’administration de Barack Obama, après que les Etats-Unis ont, des années durant, abandonné toute ambition dans ce domaine, se préoccupe déjà comme nous au Quai d’Orsay de « reconquérir » les cœurs et les esprits du monde par la culture, la création, l’échange. A peine nommée, Hillary Clinton, nouvelle secrétaire d’Etat, vient d’ailleurs de déclarer : « nous devons recourir à ce qu’on appelle le pouvoir intelligent, à l’ensemble des outils à notre disposition. Diplomatique, économique, militaire, politique, légal et culturel. Choisir le bon outil ou l’ensemble de bons outils pour chaque situation. Avec le pouvoir intelligent, la diplomatie sera l’avant-garde de la politique étrangère.”

Sur fond d’une crise financière et économique qui nous ramène à l’essentiel, à nos valeurs fortes, la France a ainsi une carte magnifique à jouer, une carte qu’on lui dispute rarement : celle de ce « pouvoir intelligent » sur lequel travaillent aujourd’hui, d’Hillary Clinton à Bernard Kouchner, les grandes chancelleries du monde entier. De Claude Lévi-Strauss à JMG Le Clézio, de Marion Cotillard à Jean Nouvel, de Philippe Starck à Daniel Buren, nos « ambassadeurs » culturels portent très haut l’image d’une France intelligente, ouverte, créative, moderne dans le monde.

Mais je le dis et je l’affirme sans craindre les tabous : nous devons repenser nos modes d’action, d’intervention. A l’heure du numérique, d’internet, alors que fait rage la bataille des images, il faut s’autoriser à redéployer nos crédits, à ne pas considérer que seuls nos vaillants centres culturels français, avec à leur tête des fonctionnaires envoyés de Paris, sont la manière ultime d’affirmer notre influence. En privilégiant pour plus de 100 millions d’euros l’accueil de 180.000 étudiants étrangers dans le monde, en maintenant, malgré un contexte budgétaire très difficile, le soutien à nos alliances françaises, à l’apprentissage de la langue française, à nos lycées français dans le monde, celui à nos artistes et intellectuels français pour rayonner, créer et intervenir dans le monde, Bernard Kouchner a fait des choix clairs. Privilégier l’action, le mouvement, la création, l’échange plutôt que de vouloir conserver, à tout prix, certains dispositifs essoufflés. Le temps n’est plus à gloser sur notre soi-disant influence perdue ou à comptabiliser l’état des seules subventions publiques à l’action culturelle extérieure. La volonté politique est là, désormais. C’est une mobilisation générale que nous devons désormais entraîner. Si nos amis américains se préoccupent enfin de mettre en valeur dans le monde ce « pouvoir intelligent », nous avons besoin, partout en France, au Quai d’Orsay mais également dans les autres administrations, avec notre audiovisuel extérieur, avec nos grandes entreprises, avec les collectivités territoriales, de femmes et des hommes de bonne volonté pour qui le dialogue par la culture est la manière la plus efficace et partagée de faire de la bonne diplomatie.

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