L'agence CulturesFrance vient de clore un appel d'offre pour son nouveau site internet. Simple relookage ou dispositif stratégique s'inscrivant dans un contexte inédit de l'action culturelle extérieure française ?
Le spectre de la mort de la culture française
En décembre 2007, l'article, volontiers provocateur, de Donald Morrison « The death of french culture » suscitait un émoi considérable dans le monde culturel français. CulturesFrance releva d'ailleurs le défi en publiant une réponse intitulée : « Great time for French Culture » co-signée par trois cents artistes français de renom. L'ampleur des réactions françaises à cet article peut être perçue comme la conséquence d'une prise de conscience brutale du risque de l'extinction de la culture française, historiquement portée à l'universalisme. Et peut-être, le déclencheur d'une réponse politique à cette soit-disante agonie du rayonnement culturel français, alimentée par un sentiment latent et diffus du déclin de la France.
A la veille d'une réforme de la politique culturelle extérieure
Il ne s'agit donc probablement pas d'un hasard si, un an plus tard, une réponse politique forte est annoncée. En effet, le Ministre des Affaires Étrangères promet pour les premières semaines de l'année 2009 une réforme de l'organisation de la politique culturelle extérieure dont le pivot serait clairement attribué à l'agence CulturesFrance, qui verrait, par ce fait, son statut associatif modifié en établissement public. Au delà d'un effet d'annonce, il semble fondamental de prendre en considération ce contexte pour mieux situer le degré d'importance de la réalisation du site internet de CulturesFrance, dont le rôle futur pourrait s'apparenter à celui d'un chef d'orchestre de l'action culturelle extérieure chargé d'harmoniser les partitions du très lourd orchestre du réseau culturel français.
Dans le sillage de la convention sur la diversité culturelle de l'Unesco
Un autre élément, cette fois juridique, est à intégrer dans le contexte de réalisation de ce site internet : l'adoption en octobre 2005 de la convention sur la diversité culturelle de l'Unesco, véritable pierre angulaire du droit culturel international. La bataille diplomatique menée par le Canada et la France sur ce dossier est un véritable titre de gloire de la diplomatie française et de sa capacité à rassembler États, organisations non-gouvernementales et professionnelles au niveau mondial. Mais cet acte de bravoure diplomatique, pour ne pas rester lettre morte, doit pouvoir, au fil du temps, trouver un support d'expression. Le futur site internet de l'agence CulturesFrance pourrait naturellement jouer le rôle de chef de fil pour le suivi de cette convention internationale.
Les raisons de la remise à plat du site internet de l'agence CulturesFrance ne sont pas seulement liées à une conjoncture médiatique, politique ou juridique, elles s'inscrivent dans de véritables enjeux stratégiques pour la politique culturelle extérieure.
Du maquis au réseau
Certes, la France peut encore s'enorgueillir de posséder le plus vaste réseau culturel au monde. On ne rappellera pas ici les aspects quantitatifs objectifs de ce constat et les lamentations régulières des rapports parlementaires sur le manque de vision stratégique de ce vaste ensemble, coiffant des structures aussi étrangères les unes aux autres que des holdings audio-visuelles, des établissements scolaires, des ambassades, des associations, etc.
Cette masse critique est évidemment un lourd handicap dans un monde en constante évolution. A l'inverse, des États ou des organisations plus « modestes » mettent en place des dispositifs aussi légers qu'efficaces, notamment dans l'espace numérique. L'enjeu réside dans la capacité du site internet de CulturesFrance à devenir une plateforme où viendrait se cristalliser l'ensemble des acteurs du réseau culturel français en transcendant leurs identités légitimes et en s'appuyant sur les principes de subsidiarité et d'intelligence collaborative. En ce sens, l'articulation avec l'initiative réseau-culturel.org est une première étape, mais pourquoi pas aussi, à court ou moyen terme, avec France 24, France Museums, Gallica2, Culture.fr voire Europeana.
Dessiner une géopolitique numérique de la culture
L'enjeu, répétons-le, n'est pas seulement de réaliser un site beau, clair, et ergonomique, mais d'esquisser une géopolitique numérique de la culture. La présence francophone sur la toile est modeste, les enjeux liés notamment au dialogue méditerranéen, proche et moyen oriental sont considérables et constituent une priorité affichée de la diplomatie française. Parallèlement à la nouvelle géopolitique des grands musées, Abu Dahbi aujourd'hui, mais pourquoi pas Shanghai, Sao Polo ou Cotonou demain, il est nécessaire d'esquisser les contours d'une géopolitique culturelle projetée non seulement sur les territoires géographiques mais aussi sur les territoires numériques et virtuels.
Vers une diplomatie culturelle 2.0 ?
« Soft power », société de l'information, rôle de la culture dans les dispositifs d'influence, « diplomatie publique », et émergence d'acteurs transnationaux non-étatiques font éclater les frontières de l'action diplomatique classique des États. Dans un contexte international tendu, dominé par l'hyper-puissance américaine vacillante et la théorie du choc des civilisations, la capacité d'un État à renouveler ses méthodes diplomatiques est crucial pour prétendre jouer un rôle sur la scène internationale et dans l'opinion mondial.
A l'heure où la Chine ouvre dans le monde un institut Confucius tous les quinze jours et où les réseaux sociaux virtuels atteignent, en nombre de membres, la taille de véritables états, le temps est sans doute venu pour la France de faire évoluer ses méthodes de rayonnement culturel vers une « diplomatie culturelle 2.0 ».
Le futur site de CulturesFrance peut être appelé à jouer le rôle de pièce maîtresse de ce dispositif.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire